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Perspectives de marché 14.04.2022

MONTHLY INVESTMENT BRIEF

AVRIL 2022

 

Laurent Denize

Laurent Denize,
Directeur des investissements, ODDO BHF AM

Nous sommes rentrés dans un cycle haussier sur les matières premières […] phénomène là aussi générateur d’une inflation non plus conjoncturelle mais structurelle.

Soyons clair, les perspectives sur les marchés actions se sont significativement détériorées depuis le début de l’année. Au-delà de la trajectoire de la croissance mondiale, une inflation plus élevée que prévu entraîne des conséquences négatives sur les obligations, certes, mais aussi potentiellement sur les actions.

Quelle relation entre inflation, taux neutre des banques centrales et niveau des obligations à 10 ans ?

Reprenons un peu la théorie afin de définir quel pourrait être le point d’équilibre des taux américains à moyen terme.

Conceptuellement, le rendement d’une obligation d'État à 10 ans doit être égal à la somme de la croissance potentielle et de l’inflation. Aux Etats-Unis, la croissance potentielle est de l’ordre de 2%. Si l’inflation à long terme est estimée autour de 2,5%, alors la valeur à long terme pour le rendement du bon du Trésor américain à 10 ans devrait plutôt être de 4% à 4,5%. Le 10 ans américain vaut aujourd’hui 2,75%. On est donc loin du compte.

Pourquoi un tel décalage ? L’activisme des banques centrales est pour beaucoup dans cette répression financière dans laquelle nous baignons depuis 10 ans, mais pas seulement. Ces dernières années, les investisseurs étaient prêts à payer très cher et à sacrifier du rendement pour posséder des obligations à long terme, entrainant des primes de terme négatives. En effet, détenir des obligations permettait d’envisager des gains en capital compensant la perte sur les actions en cas de contexte macro-économique défavorable. De plus, la baisse des rendements obligataires (notamment réels) propulsait les actions vers des sommets dans un phénomène d’éviction aujourd’hui bien connu.

Cependant, maintenant que l'inflation est devenue un risque macroéconomique avéré, la corrélation entre les rendements boursiers et obligataires pourrait redevenir négative.

La hausse de l’inflation risque de pousser les rendements obligataires à la hausse même lorsque les actions baissent. L’incitation à détenir des obligations à long terme va diminuer puisqu’elles ne jouent plus le même rôle d’amortisseur. Cela entraînera une augmentation de la prime de terme.

La vraie question est donc la suivante : quel peut être le régime d’inflation dans les prochaines années ?

Nous sommes rentrés dans un cycle haussier sur les matières premières. En effet, les produits de base sont des ressources réelles (nourriture, énergie, métaux), et un accès insuffisant aux ressources ne peut être résolu par l'assouplissement quantitatif... vous pouvez imprimer de la monnaie, mais pas du pétrole ou du blé. Alors que les gouvernements déploient des mesures, plus ou moins ciblées pour amortir les hausses, au prix de balances budgétaires détériorées, les banques centrales font face à l’objectif dual de juguler l’inflation tout en empêchant la dislocation du marché obligataire. Cette incertitude accrue sur les politiques monétaires,- de plus en plus asynchrones -, génère une volatilité supplémentaire sur les taux de change. La nécessité d’accélérer l’indépendance énergétique, sanitaire et alimentaire va pousser les pays à accumuler des réserves, non plus de change mais de produits de base. Au-delà de la souveraineté et de la nécessaire sécurisation des approvisionnements, le modèle en flux tendu a vécu. Il faudra reconstituer des inventaires, phénomène là aussi générateur d’une inflation non plus conjoncturelle mais structurelle.

A long terme, nous gardons donc la même conviction : les taux long termes sont trop bas.

Si la tendance est claire à moyen terme, le récent mouvement et les inquiétudes sur la croissance incitent à prendre partiellement ses profits à court terme. La Fed ne va vraisemblablement pas monter ses taux autant que le marché l’anticipe et devrait rester flexible. Nous aussi. Ne nous trompons pas, nous restons vendeurs mais – à court terme - réduisons les montants en jeu dans une perspective de gestion du risque. Rappelons que le 10 ans valait 1,17% le 31/08/21. Il peut faire une pause à 2,75%.

Quel impact d’un changement de régime d’inflation sur les marchés actions ?

L’inflation en soi n’est pas mauvaise pour les sociétés tant que leurs gains de productivité excèdent la hausse du cout unitaire du travail et des intrants. Mais une inflation trop forte et trop soudaine s’accompagne le plus souvent d’un ralentissement économique. C’est aujourd’hui notre crainte principale avec, pour corollaire, son impact sur les résultats des sociétés et donc leur performance boursière. Les actions protègent partiellement contre l’inflation mais ne sont pas non plus le rempart absolu. Or, les indices américains et européens traitent aujourd’hui sur des niveaux supérieurs à ceux connus avant l’invasion de l’Ukraine. La guerre serait donc, selon les marchés une bonne nouvelle (sic).

Nous ne partageons pas ce point de vue.

Nous maintenons notre biais légèrement baissier et accentuons nos ventes sur ces niveaux. Les investisseurs nous paraissent trop complaisants non pas sur le risque ukrainien mais plutôt sur la trajectoire de l’économie mondiale et l’ampleur des conséquences du choc inflationniste.

Quelle allocation d’actifs dans ce contexte ?

Même si nous adoptons un positionnement plus prudent en directionnel, il faut aussi s’atteler à remodeler son portefeuille. Nous restons acheteurs de Franc Suisse, de dollar et profitons également de certains disfonctionnements de marché.

  1. Les sociétés décotées ont vu leur bêta (sensibilité au marché) considérablement diminuer par rapport à l'ensemble du marché des actions. Elles offrent un coussin de valorisation substantiel par rapport aux valeurs de croissance. Nous redevenons acheteurs de sociétés « Value ».
  2. A l’autre bout du spectre, les valeurs défensives avec des bilans solides offrent des couples risque / rendement attractifs.
  3. Sur le plan géographique, les valeurs chinoises offrent au prix d’une volatilité très élevée des points d’entrée remarquables pour une allocation de long terme. Les actions domestiques (A shares) et traitées à Hong-Kong (H shares) font leur rentrée dans nos portefeuilles au détriment de certaines valeurs européennes.
  4. Nous revenons également sur le crédit Investment Grade, considérant que les spreads de crédit rémunèrent mieux aujourd’hui le risque qu’en début d’année, en prenant soin de gérer activement la duration. Les spreads sur les obligations à haut rendement ne protègent pas encore assez du risque.

La séquence bénéficiaire à venir et les guidances des sociétés dicteront certainement notre allocation dans les prochains mois. En attendant, nous préférons un positionnement peut être trop prudent à l’appel du mantra « TINA (There Is No Alternative) ». Circé nous a prévenu, nous ne céderons pas aux chants des sirènes.

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